Présentation de la Conversation « Psychanalyse et Migration »

Texte présenté le 19 janvier 2019 à la galerie Trait Noir de Fribourg, dans le cadre de l’événement « Un cartel s’expose ».

Si habituellement ce sont mes images qui s’adressent à vous, il m’incombe aujourd’hui de trouver les mots pour vous saluer et vous dire le plaisir que j’ai de vous accueillir ici, à l’atelier Trait Noir, à l’occasion de l’exposition « La langue des oiseaux, un cartel s’expose ».

Trois temps soutiennent l’événement d’aujourd’hui qui nous tient à coeur.

Le premier d’abord, temps du réel de 2015

Les adolescents de la classe d’accueil de Mme Joly et du Cycle d’Orientation du Belluard, Niyat, Hermela, Kaltrina, Diogo, Olga, Joana, Silvia, Alvaro, Nurhan, Tuomay, Raphaël, Fiznik…, récemment alors venus, pour les uns d’Arménie, du Portugal, de Turquie, d’Erythrée, pour les autres d’Espagne, de Colombie, du Kosovo,…, temps d’inscription de ces jeunes, par le biais de leur école à l’un des événements culturels marquants de Fribourg, le Festival du Belluard, avec cette année-là, sa « Forteresse Europe ». Instant de rencontre étonnante avec les artistes invités, le chanteur éthiopien Asnake Guebreyes et les musiciens de Ukandanz, les danseurs africains de Toxu, Momar Ndiaye, Michel Kiyombo, Cheik a Bamba et leur „Désir fou d’Europe“, quelques autres encore. Espace du workshop, des prises de vue, l’oeil derrière l’objectif.

Et puis 2018, année de la mouvance sensible des migrations méditerranéennes, de l’anniversaire du bicentenaire de la migration de familles fribourgeoises et suisses vers le Brésil et Nova Friburgo, le Festival International du Film de Fribourg et « L’Adieu à l’Afrique » du cinéaste Pierre-Alain Meyer, Ai Weiwei et son « Human Flow », le film de Markus Imhof « El Dorado » en résonnance étrange avec celui de 1981 « La barque est pleine », pleine alors en 1940, de réfugiés juifs tentant à l’entrée en Suisse, d’échapper à une mort certaine.

Un peu avant en 2015-2016, la mise en oeuvre marquante par l’artiste bullois Jacques Cesa, lui-même issu de l’imigration italienne d’une famille du Piémont, au tournant du XXème siècle, du projet « À contre-courant », le dernier d’importance pour lui, il est décédé en août dernier.

Du centre des Passereaux à Broc en Gruyères jusqu’à Lampedusa, 15 semaines de voyage, périple à l’envers de la route migratoire avec comme devoir d’histoire, un journal, des témoignages, des dessins, des fusains, des pastels par dizaines, des portraits de migrants mais également de douaniers, de carabinieri, de travailleurs sociaux, de religieux, de bénévoles… des lieux, des marques aussi, des grafittis, des objets récupérés, trouvés dans les gares, les ports, les douanes ou les camps, un livre enfin, « Lampedusa aller simple », paru aux éditions de l’Aire.

2018 donc, un temps deux, celui de notre cartel « Psychanalyse et migration ».

Le „cartel“ pour ceux qui n’en sont pas familiers, est un des dispositifs de travail proposés par les écoles de psychanalyse d’orientation lacanienne pour garder vif et ouvert ce « lieu d’où“ s’autorise en partie, chaque psychanalyste, celui de sa propre analyse. Quatre se choisissent ainsi, s’allient un „+1“ et décident ensemble d’un thème commun. Chacun cerne également pour lui, une formule singulière, un point, une question qu’il souhaite explorer pour en découvrir un bout de savoir.

J’ai donc l’honneur aujourd’hui de vous présenter les membres du cartel « Psychanalyse et migration » qui s’exposent aujourd’hui à mes côtés:

  • Frank ROLLIER, tout d’abord, psychanalyste à Antibes et Paris, membre de l’AMP, notre +1.
  • Violaine CLEMENT, psychanalyste à Fribourg, professeure de langues anciennes, adjointe de direction au CO de Pérolles, membre de l’AMP.
  • Alexandra CLERC, psychanalyste à Fribourg, collaboratrice au secrétariat d’état aux migrations, membre de l’ASREEP-NLS.
  • Olivier CLERC, psychanalyste à Fribourg, ancien professeur de philosophie, membre de l’AMP.
  • Nicole PRIN, „psychanartiste“ à Fribourg, ancien professeure d’arts visuels,  membre de l’ASREEP-NLS.

Au terme du temps de parcours prévu pour le travail en cartel, un an ou deux, dans l’après-coup, il est possible de faire oeuvre de transcription, de transmission, en proposant un écrit, un dire de témoignage. Frank Rollier, Alexandra Clerc, Olivier Clerc se prêteront ainsi chacun, à une présentation inédite, à partir de leur point de „souci“ et d’énoncé choisi.

Pour ma part, la formule fut intuitivement « La langue des oiseaux, comme une écriture comme une écriture“. Mystérieusement, cette LANGUE qui danse, cet énoncé muet en mouvement semble venir de loin. Il dit le bord des mots, le souffle d’avant, lalangue des enfants d’avant l’exil dans le langage, celle de ceux qui dessinent, traçant des signes singuliers et appliqués. Elle dit pour moi, plus de quarante ans, l’oreille ouverte et l’oeil attentif à ces gestes, à ces mémoires, mon regard par dessus l’épaule de mes élèves adolescents, elle dit aussi « La semiologie » d’Arno Stern, servant ce qu’il a appelé la formulation et ses marques, à la fois uniques et universelles, elle dit l’écriture lumière de la photographie qui m’a choisie, le jour où le hasard a mis mon oeil derrière un objectif.

Un dit secret, étrange, entre visible et invisible, impensable et indiscible, un dit de bec et de plume, de poète soufi à tire-d’ailes, un dit d’alchimiste d’autrefois qui se glisse dans l’entre-deux des langues, en dessous, un dit de l’impossible et des nécessités intérieures, un dit en acte, un inter-dit qui migre doucement au-delà et silencieusement, borde le vide, apprivoise l’espace de soi, imprime sa marque de corps, fait lien.

« Comme une trace de pas dans la neige », dit un jour une de mes jeunes élèves.

« Unique trait de pinceau », dit François Cheng.

« Lettre », dit Lacan, entre sens et jouissance.

Davantage direction d’ailleurs, que signification, boussole sur sa voie, repère en son lieu propre. Esca-BEAU, dit encore Lacan.

Le troisième temps aujourd’hui, est celui de conclure

« Un rouge-queue, dit Jacques Cesa dans son journal, juste à côté du balcon de l’atelier, un nid, un couple, les branches du sorbier en fleurs, cinq oisillons nés, les gazouillis, les becs grands ouverts et puis, à l’automne, le nid vide. L’absence. Ils suivent la voie apprise, depuis des générations d’oiseaux migrateurs. Ils suivent les constellations, leurs repères dans le ciel, referont le printemps… »

« Les migrants avancent dans la mouvance de leur fuite. Ils ont été chassés de leur pays, tournant le dos à leur terre d’origine. Ils avancent, malgré les barrages et les obstacles, ils traversent les frontières ou les évitent, contournant une montagne, prenant une barque vers la terre promise ».

Depuis toujours.

Comme une écriture, voyage du littoral au littéral.

La couleur noire encore, celle de la manière et de l’encre, de la gravure en taille-douce, celle de l’ombre, celle de l’envers, celle de la peau. Entre noir et blanc, le creux et l’empreinte, la rature, le ravinement et son réel fribourgeois.

« Pas ce qui représente la migration, mais ce qui la présente ».

Ce qui signe ici, à Trait Noir, au coeur de Fribourg, l’inscription d’un dire nomade qui s’arrête et fait lien, un style, un savoir-faire, « unique » effort de poésie à votre intension.

 

Conversation « Psychanalyse et Migration » 19 janvier 2019 à la galerie Trait Noir de Fribourg, dans le cadre de l’événement « Un cartel s’expose ».

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